Témoignage

Edmond BLATTCHEN, Mains d’humain, mains de Dieu.

« Dieu existe, je L’ai rencontré » : la célèbre formule d’André FROSSARD, aujourd’hui décédé, je la revendique à mon tour. Par contre, si Dieu m’est bien apparu, ce n’est pas dans une lumière aveuglante, mais plus simplement, dans le sourire d’une inconnue…

Avril 1990. Dans un mouroir de renom, ma mère, à plus de quatre-vingts ans, livre son dernier combat. A bout de forces, vaincue par l’âge et par le mal, elle a perdu tout appétit. Son dernier caprice : un yaourt - maigre ! - aux fraises, une à deux fois par jour ; la nourrir ainsi à la cuillère, c’est désormais ma seule façon de l’aider, de l’aimer. Ainsi quarante ans plus tard, les rôles sont aujourd’hui inversés : « Maman, mon enfant… »

Chaque soir, le travail terminé, je bondis dans ma voiture pour traverser la ville et pour la rejoindre avec de petits pots bien frais. A chaque fois, le même accueil, joyeux et gourmand. Pas besoin d’un long discours : « Mange, maman, mange… ». Et la voilà qui s’endort, apaisée, sereine. Mais, cette fois se réveillera-t-elle ?...

Un soir, je me trouve prisonnier d’un terrible embouteillage. Cruelle heure de pointe ! Pas encore de téléphone portable, aucun moyen de prévenir de mon retard… Comme dans un cauchemar, je me souviens ; cinq ans plus tôt, paralysé de la même manière, sur le chemin d’un autre hôpital…je suis arrivé quelques minutes trop tard au chevet de mon pauvre père, je ne me le pardonnerai jamais ! La malédiction s’acharne ! Ma mère, à son tour, va-t-elle être condamnée à partir sans un adieu ? « Ce n’est pas possible, Seigneur ! Faites quelque chose ! »
Est-ce bien moi qui implore ainsi un « Bon Dieu » auquel j’ai renoncé à croire il y a bien longtemps ?

Aux abords de la clinique, près d’une heure plus tard, mon cœur s’emballe : je cours, je vole ! Je pousse – enfin ! – la porte de la petite chambre : une petite dame, vêtue de blanc, se tient debout à côté du lit…Elle me tourne le dos et me cache le visage de ma mère…Que se passe-t-il ? Qui est-ce ? Une infirmière ? Un médecin ? Une religieuse ?

Au comble de l’inquiétude, je m’approche lentement, sans faire de bruit…Se retournant calmement, comme si elle avait deviné ma présence, l’inconnue me tend alors un pot de yaourt et une cuillère avant de se retirer discrètement sur ces simples mots : « Veuillez m’excuser, Monsieur, moi, je ne suis qu’une…bénévole ».

Le temps d’embrasser maman, de lui passer la main dans ses cheveux, je me tourne à mon tour, décidé à remercier l’étrangère : elle a déjà disparu !

Quelques jours plus tard, maman, délivrée, nous a quittés…

Mes parents, désormais, je les porte, plus que jamais, dans mon cœur. Ils peuvent dormir en paix : leur fils a retrouvé la foi ! Mais comme à Jean SULIVAN, comme à Gabriel RINGLET, Dieu a choisi de m’apparaître « de dos » : c’était un soir d’avril 1990, sous les traits d’une petite dame timide et grisonnante, surgie presque par hasard entre ma mère et moi, le temps d’un sourire complice…

« Dieu, est-il écrit quelque part, n’a d’autres mains que les nôtres ». Pour moi, ce sont, Madame, vos mains menues et tremblantes, un yaourt dans l’une, une cuillère dans l’autre…

Une famille
Publié le 6/02/2020


<< Précédent      Suivant >>