Regarde ! Regarde !
Evangile selon Jean, 9
« Va te laver à la piscine de Siloé » - ce nom se traduit : Envoyé.
L’aveugle y alla donc, et il se lava ;
quand il revint, il voyait.
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Dans mon enfance, mon père n’a cessé d’attirer mon attention sur la beauté de l’univers.
- « Regarde ! Regarde ! »
C’est ainsi qu’il m’a appris la vigilance, que je tiens pour la définition même de l’attitude poétique : une attention aiguë au réel.
En ce sens la poésie est un état, inconstant, toujours désirable.
J’aimerais ici évoquer cet état intérieur propice à la saisie émerveillée du monde. Celle-ci n’est pas liée au caractère exceptionnel du spectacle que nous contemplons : c’est notre vigilance poétique, notre concentration, qui peut rendre « spectaculaire » (visible) un objet intrinsèquement humble.
Cet état relève d’une sagesse – d’un savoir-vivre à conquérir contre l’agitation de nos jours.
Cette question de l’hors-de-soi me paraît capitale dans la possibilité qu’advienne l’émerveillement. Pour défamiliariser le réel et le voir « tout en nouveauté », comme l’écrit Baudelaire, on doit être capable de s’extraire de l’égo. Accéder à la voyance, à la disponibilité poétique au monde, n’est possible que lorsque les yeux sont tournés vers l’extérieur.
" Il te faut de la pauvreté
Dans ton domaine.
C’est comme ce besoin qu’on peut avoir
D’un mur blanchi à la chaux.
Une richesse, une profusion de mots, de phrases, d’idées
T’empêcheraient de te centrer, d’aller, de rester
Là où tu veux,
Où tu dois aller
Pour ouvrir
Pour accueillir.
Ta chambre intérieure
Est un lieu de pauvreté. "
Belinda Cannone et Guillevic
Référence: Art poétique, 170