Témoignage

Vendredi-Saint 2018 au Centre Œcuménique -Témoignage du Dr Achille Bapolisi, de Bukavu, Assistant en psychiatrie à Saint-Luc,
Ces 3 dernières années ont été les années les plus éprouvantes de ma vie. Il y’a 3 ans, j’ai commencé une clinique de santé mentale dans un camp des réfugiés en Ouganda habitant à peu près 90.000 personnes de 9 différentes nationalités. Je me suis préparé comme j’ai pu à ce projet : des formations en techniques de psychothérapie orientées vers le trauma à un master de psychopharmacologie, j’ai pris tout ce qui était à ma disposition. Mais rien ne nous prépare à l’horreur, rien ne nous prépare à la souffrance. Car, dans cette clinique, ont défilé aux cours des heures, des jours, des semaines, des mois des femmes violées, des hommes torturés, des enfants mutilés, des personnes anéanties par tout ce que vous pouvez imaginer de plus cruel et de plus dégradant. Aujourd’hui encore je me rappelle de traits de leurs visages, de regards de leurs yeux et de leurs histoires, les unes aussi dramatiques que les autres. Il y’a des choses qu’on n’oublie jamais ! Me retrouvant moi-même réceptacle de cette horreur, ma foi en l’homme, ma foi en Dieu s’émoussait, ma passion s’éteignait. Je me rappelle même, un jour où une histoire de trop a fait déborder le vase, m’être rendu à l’aumônerie de l’université, le cœur plein de révolte, avec la nette idée de désavouer ma foi. La seule chose qui m’a finalement aidé à tenir c’est la résilience, l’espoir, la ténacité et même la bienveillance de mes patients à mon égard. J’ai finalement quitté l’Ouganda avec un regret, un flou dans l’âme, le sentiment d’avoir expérimenté ma finitude de médecin et d’homme.
Ici, à Bruxelles, après un temps d’adaptation et d’évaluation, mes patrons m’ont donné l’opportunité de voir en premier front des patients en consultations et en hospitalisation. Et loin de ce contexte extrême des guerres et de précarité extrême, j’ai rencontré derrière des masques de convenance et d’aisance toute forme de désillusion, de déception, de solitude, de deuil, de lassitude, de crise identitaire, bref de souffrance. Une autre forme de souffrance. ‘Tiens, Achille, il est drôle ton métier’, me dis-je souvent avant d’aller dormir. Mais est-ce vraiment mon métier ? N’est-ce pas la vie en général ? Ouvrons les yeux et les oreilles autour de nous. Ne connaissons-nous pas des personnes qui ont été frappées dans la fleur de l’âge par une maladie qui les handicape à jamais, des familles qui se séparent, au prix de déchirements intérieurs, de leurs membres, des êtres très chers qui nous quittent, des personnes qui souffrent dans leurs cœurs et dans leurs corps ? Ne sommes-nous pas nous-mêmes l’objet des souffrances les plus variées ? La souffrance n’est-elle pas ce qu’il y a de plus commun à notre condition humaine ?
Mais ces dernières semaines, je me suis rendu compte d’une chose très simple en suivant les récits évangéliques. Une chose très simple mais qui sera désormais un pilier sur lequel reposera ma foi : Jésus nous ressemble dans cette souffrance. Jésus qui a été angoissé à Gethsémani, Jésus qui a été trahi et renié par ses disciples, qui a été torturé et crucifié par son propre peuple, ce Jésus nous ressemble dans nos souffrances. Il ressemble aux réfugiés, aux victimes, aux malades, aux déprimés, aux pauvres, à vous et à moi. Et puisqu’Il nous ressemble par la croix nous pouvons espérer Lui ressembler dans la résurrection. Puisqu’Il nous ressemble par la croix ; nous pouvons faire de nos croix l’accomplissement sublime de l’amour de Dieu. Puisqu’Il nous ressemble par la croix nous pouvons dire comme Lui au bout de nos chemins de croix : ‘tout est accompli’. ‘Tout est accompli’.

Un(e) soignant(e)
Publié le 3/04/2018


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